Les adaptations, Vernon, Virginie, Luz et moi

Je dois vous confier un truc : Je n’en peux plus des adaptations ! Les films et les séries TV en regorgent ! Adaptations de livres, de comics, de faits réels, historiques !  Je n’en peux plus ! On remâche encore et encore les même univers ! On reboot des histoires que l’on connait par coeur, on nous donne le point de vue des personnages écartés de la première version, on fait de nouveaux médias sur les sidekicks, on revoit la grande histoire au travers de la petite… voir, des fois, on la travestit pour que ce soit pittoresque et la vulgarisation devient fiction quand le spectateur se pensait témoin. 

Et on en redemande ! 

Même moi qui vous confie – dans cette longue introduction – faire une overdose de redite, j’ai mes petites exceptions… Et si je vous en parle, c’est qu’en libraire, nous n’échappons pas au phénomène. Par exemple, les bandes dessinées de reportage ont toujours la côte ! Et avant l’arrivée de la « BD docu », il y a eu la grande époque de la bande dessinée autobiographique, qui perdure encore, de Persepolis de Majane Satrapi à l’Arabe du Futur de Riad Sattouf en passant par les chroniques de Guy Delisle. Mais je m’égare…

Ces derniers temps, les libraires ont vu passer pas mal d’inspiration venant du roman dans la bande dessinée. Après le biopique d’Anais Nin de Léonie Bischoff ou encore l’Homme à la fourrure d’Anne Simon, nous avons reçu récemment pas moins de trois versions de 1984 tombé il y a peu dans le domaine public. Et je dois dire que tous les ouvrages que je vous cite là sont merveilleux. Et moi qui crie au sang frais, à la fiction sortie d’une tête pour le plaisir unique de coller à une histoire et à un dessin fait de cases et de bulles, voila que je vous débite tout mon plaidoyer pour… crier mon amour a une adaptation qui occupera désormais une partie de mon cerveau et un bout de mon coeur. 

La semaine dernière, j’ai lu le Vernon Subutex de Virginie Despentes mis en bande dessinée par Luz et je l’ai adoré. 

Si vous ne connaissez pas le nom de Virginie Despentes, que vous soyez homme ou femme, vous avez raté quelque chose dans votre éducation. Virginie Despentes est célèbre pour ses romans, pour ses films, pour ses prises de position, ses combats, ses discours (oh oui ! Ecoutez Virginie Despentes ! C’est important. ) mais surtout pour son essai King Kong Théorie, véritable fer de lance du féminisme moderne. 

Et puis dans la bonne grosse dizaine de romans écrits par Virginie Despentes, il y a la très très bonne trilogie de Vernon Subutex.

Citation Vernon Subutex, le roman, tome 1 : Passé quarante ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée. Il tombe amoureux quand elle éclate de rire – au désir s’ajoute une promesse de bonheur, une utopie de tranquillités emboîtées -, il suffira qu’elle tourne la tête vers lui et se laisse embrasser, et il accèdera à un monde différent. Vernon sait faire la différence: excité, c’est le bas-ventre qui palpite, amoureux, ce sont les genoux qui faiblissent.

Cette trilogie, c’est l’histoire de Vernon, ancien disquaire obligé par la modernité de fermer sa boutique et de revendre son stock pour survivre. Comme avec tous les plans de Vernon pour son futur, il va vite tomber à court. De fric, de truc a vendre, de cigarette… et puis au final, d’appartement. Car c’est ainsi que commence l’histoire : faute de pouvoir payer son loyer, Vernon est à la rue. Dans son sac, il a son chargeur et puis les cassettes d’Alex Bleach, musicien de talent qui vient de rendre l’âme. Vernon va essayer de se réfugier chez des amis et puis il va essayer de disparaitre. Mais tout le monde cherche Vernon et surtout… le testament d’Alex Bleach. 

J’avais entendu parler du roman à sa sortie sans y prêter grande attention. Et puis avec l’adaptation en série TV (fléau je vous dis) correspondant avec mon arrivée en librairie généraliste, j’ai vu la trilogie se vendre à nouveau. Je l’ai mise dans ma pile à lire (aka la cheminée de la honte ou je stocke des livres comme si nous allions passer trois mois non pas en confinement dû au covid mais a une guerre nucléaire… je devrais y ajouter des pâtes et du PQ, tiens, dans cette cheminée…) et depuis, la trilogie dormait. Quand j’ai vu arriver la bande dessinée dans les programmes de la librairie, il était hors de question pour moi d’y mettre le nez sans avoir lu le texte. Alors j’ai été trainer entre les pages du premier tome. J’ai trouvé un texte riche avec des personnages entiers qui me donnait envie d’y passer du temps… temps que, nous libraire, n’avons pas toujours pour vous couvrir au mieux de nouveauté. Quand la bande dessinée est arrivée en librairie, juste avant Noël, je n’ai pas non plus eu besoin de la lire pour qu’elle disparaisse dans les sacs des lecteurs sans que j’ai à en parler. Et puis, la semaine dernière, je l’ai enfin ouverte. 

Impossible de la lâcher ! Impossible d’en sortir, de ne pas penser à Vernon et à la myriade de personnes inventés par Virginie Despentes et mis en image par Luz. Le monde dont parle les deux auteurs, j’en ai à peine fait partie du haut de mes 36 petites années. Pourtant j’ai vu mes milles vies dans les rues de Paris, sur le coin d’une table d’un Starbucks, dans un live de Motörhead, dans le visage d’un personnage aigri, dans les fêlures d’un autre ou encore dans l’évocation d’O.T.H. Ce n’est pas trop que de dire que l’on est dans la comédie humaine dans le sens grandiose du terme. Et puis ce dessin ! Celui de Luz ! Un dessin qui vibre, qui zig-zag qui casse les codes de petites cases en grandes pages. On en prendrait bien quelques bottins. Ça tombe bien, le premier est sorti en novembre et il y en aura un deuxième.

Je vous laisse, j’ai de la lecture pro à faire. J’essaie de me débarrasser de la petite rentrée de janvier pour lire le tome 2 de Vernon Subutex par Virginie Despentes en attendant le deuxième tome de l’adaptation. Luz, Virginie… adaptez tout ce que vous voulez, vous deux je vous suivrai sans râler !

Vernon Subutex, de Virginie Despentes et Luz, éd. Albin Michel, 304 p., novembre 2020, 29€90

Dorothy Convention

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